Nicolas Deleau a publié Encore un verre de liqueur dans Kanyar n°2 et Obock dans Kanyar n°3. Il est enseignant, comédien, musicien, plasticien et écrivain. Il aime à «poursuivre obsessionnellement l’idée d’une forme rhizomique de création». Il est l’auteur, entre autres, de La dent d’orque et autres voyages autour de mes bibelots (Glénat, 2006) – finaliste des prix Gens de mer - Hurtigruten de Saint-Malo et Henri-Queffélec du festival Livre & Mer de Concarneau –, de nombreuses nouvelles dont Lubango-Namibe (prix Pérégrin Genevoix 2004), de l’exposition Rhizome à l’Alliance française d’Addis-Abeba (2011) et du très beau roman Les rois d’ailleurs (Rivages, 2012). Son deuxième roman Des rêves à tenir est sorti en 2020 chez Grasset.
" Sa trogne de pomme cuite s'était illuminée, comme pour une dernière fois, quand il avait commencé son histoire."
Encore un verre de liqueur de Nicolas Deleau.
Kanyar n°2. Au « Totoche », le bar de la base à Kerguelen, les tournées réchauffent les marins et libèrent la parole. Les récits de voyages fantastiques sur des mers inconnues font rêver. Encouragé par cette atmosphère, le vieux Basque raconte l’histoire de l’Afrique, « un vrai paquebot de la grande époque » au départ de Bordeaux sur lequel à douze ans il rêve d’embarquer. « Ton heure viendra » lui a dit le commandant le Du qui connaît toutes les mers du globe, en le surprenant alors qu’il s’était faufilé clandestinement sur le bateau. Alors, il guette les nouvelles de l’Afrique qui ne revient jamais et s’interroge sur le sens de cette phrase. Les histoires de mer, il faut les raconter car chacune cache un drame, nous dit l’auteur Nicolas Deleau et c’est pourquoi il relaie celle-ci, connue sur la côte atlantique. En restituant avec réalisme le parler du vieux matelot, il nous fait partager la passion de la mer de ces hommes confrontés à la violence des tempêtes. Agnès Antoir |
"À la place, je me suis laissé dévorer par un regard, un regard et un sourire, et j'ai prié pour qu'ils me dévorent longtemps."
Obock de Nicolas Deleau.
Kanyar n°3. Scène immobile à la lumière tombante d’une chaude journée sur les quais d’un port au bord du golfe d’Aden : deux aventuriers, l’un caravanier, l’autre pirate cherchent à capter des bribes de voix d’un poste à transistor. Et sans doute un troisième, le narrateur qui se souvient… Dans la torpeur de la nuit qui s’installe les souvenirs lentement s’égrènent, sans chronologie, avec leurs zones d’ombres, les paroles économisées et surtout les silences : d’où viennent ces hommes et comment se sont-ils rencontrés ? Qu’est-ce qui les unit : l’amour partagé pour le beau personnage d’Este-Ab, l’hôtesse du narrateur qu’elle a soigné pendant sa fièvre ? Et cette « gamine » fantasque, Nima, amante virevoltante des marins de passage, quel était son lien exact avec Este-Ab ? La mort n’est jamais bien loin et ses fantômes hantent les personnages. Dans une sorte d’engourdissement, le présent est flouté par les souvenirs qui s’emmêlent, le temps se dilue et ces hommes nomades sont à peine atteints par les échos du monde, théâtre de guerres et de révolutions. Nicolas Deleau place cette nouvelle sous le signe de réminiscences rimbaldiennes, pour nous immerger dans l’atmosphère troublante d’Obock. La fascination opère, portée par des noms de lieux et des patronymes aux noms évocateurs de voyages. Inséré dans une construction en boucle, un écheveau de souvenirs et de digressions se déroule jusqu’à déboucher sur une actualité distanciée. Et l’énonciation avec l’usage de ce « vous » indécis auquel s’adresse le narrateur, implique le lecteur comme dans une confidence pour finalement contribuer à creuser le mystère qui entoure les souvenirs attachés à ce lieu. Leur caractère envoûtant nous ramène à l’épigraphe « suave mari magno », beau poème de Lucrèce qui invite au doux sentiment de quiétude dans le détachement du monde et de son agitation. Agnès Antoir |